Née à Angers en 1980.
Stéphanie Martin insuffle ses émotions dans la terre, substance magnétique qui fait vibrer tout son être. Céramiste de formation, elle modèle et façonne son matériau fétiche jusqu’à ce que ses ressentis se matérialisent en des formes tantôt abstraites, tantôt figuratives. Artiste du touché, elle développe une pratique sensorielle où la matière organique lui permet d’exprimer la richesse d’un imaginaire tout particulièrement nourri par le contact avec le végétal. Quelles traces les éléments naturels laissent-ils en nous ? Et, inversement quelles traces laissons-nous dans ce vivant dont nous sommes partie prenante ? Comment percevoir et transformer les énergies invisibles qui nous entourent et nous traversent ? semble-t-elle s’interroger.
De cette introspection émergent des œuvres qui prennent comme point de départ la mémoire sensible de son corps et ses représentations mentales, facultés qu’elle cultive en démultipliant les expériences d’immersion dans le milieu naturel au travers d’innombrables balades et collectes.
Une fois revenue dans son atelier, elle laisse les savoir-faire propres à la céramique reprendre la main sur cette immatérialité brute rapportée de l’extérieur. C’est ainsi que son installation Petit bonheur rejoue, par la porcelaine, la sensation de plonger les orteils dans l’herbe fraiche jusqu’à
agripper le sol. On y voit deux paires de pieds plantés dans des carrés de pelouse aux brins décoiffés, l’une qui s’aplatit et l’autre qui se recroqueville, à l’instar d’une inspiration et d’une expiration à plein poumons. La couleur verte du végétal remonte jusqu’aux chevilles comme si elle venait imbiber ces extrémités en passe d’être absorbées par la terre.
De ces œuvres qui exploitent la richesse des techniques que permet l’art de la céramique, se dégage une esthétique surréaliste où le rêve vient incessamment se mélanger à la réalité. Les motifs floraux et anatomiques se côtoient et se superposent : feuilles, branches, pétales, écorces et
arbres s’entremêlent à des bras, des jambes, des têtes ou des parties de visage. Ses compositions font fi des hiérarchies entre les êtres, traditionnellement établies par notre anthropocentrisme.
Ses ensembles s’attellent à déranger et à réinventer librement les normes physiques de chaque élément représenté, comme le poids, les couleurs, les proportions et la position. Dans son installation Passage, par exemple, elle crée un filet suspendu
de feuilles bleues au bout duquel pend, au dessus du vide, un amas immaculé de petits bras et de petites jambes.
Démultipliés et entremêlés, les membres humains se muent en racines nourricières de la broussaille sus-jacente.
Stéphanie Martin laboure ainsi l’onirisme que renferme la terre pour se rapprocher de ce qui échappe à l’œil nu, en révélant une fascination particulière pour l’impalpable élan d’une pousse ou d’une graine. De cette tentative nait également sa pièce Jungle, où l’abstraction du monde microscopique donne vie à des sculptures qui célèbrent le jaillissement primordial qu’ont connu les premiers organismes unicellulaires. Organiquement, les mains de l’artiste font ainsi surgir de la matière un univers personnel doté d’une forte dimension symbolique et poétique qui racontent le monde tel qu’il est senti et perçu.“La forêt est un état d’âme” disait Gaston Bachelard dans La poétique de l’espace. Or, les œuvres de Stéphanie Martin semblent prendre le philosophe au mot. Fluidifiant les frontières entre intériorité et vivant, les doigts enfoncés dans la terre deviennent racines.
Licia DEMURO
avril 2024